Billet d’humeur #17 | 06/09/2018 par Lila Fraysse

En regardant des vidéos live du Primavera Sound festival de Barcelone, je tombe sur une conférence de presse qui réunit des personnalités de la scène urbaine trap espagnole. La première question posée par Alicia Álvarez m’accroche tout de suite. Elle demande à ces artistes signés chez des majors ce qui leur reste d’underground. C Tangana répond que l’underground est une image qui se fabrique, un moyen comme un autre de vendre sa musique. Yung Beef quant à lui, affirme qu’il est plus underground que jamais. Le «mainstream» ne lui a apporté que des délires de grandeur. Il vient de créer son label pour redevenir son propre patron.

On attend des artistes qu’ils nous partagent leur rapport au monde, une vision singulière.Mais lorsque leur talent est reconnu du grand public et qu’ils entrent dans l’industrie musicale, on n’y trouve plus forcément d’intérêt.
Serait-ce par fierté, pour se dissocier du commun ?
Ou parce qu’il s’agit d’un monopole à combattre qui empêche l’expression des formes plurielles. Entre culture de masse et culture élitiste, la nécessité est de décloisonner les milieux. L’artiste novateur ne serait-il pas celui qui arrive à se faire comprendre par un public nouveau ?

Dans la pratique, je vois que l’underground est aussi un réseau, un moyen de diffusion parallèle qui tire son épingle du jeu par sa facture artisanale.
Encore faut il arriver à faire partie de cette sphère souterraine. On emprunte des chemins encore méconnus et ce sentiment de rejet à l’égard de notre communauté persiste.
Finalement, être underground c’est déjà la reconnaissance d’une partie du contre pouvoir culturel et politique.

Peut-on être underground en étant intermittent ? En étant subventionné ? En touchant des droits d’auteur ?

Me revient à l’esprit la réponse de Loran Béru lors d’une captation du concert des Ramoneurs de Menhirs à l’Estivada de Rodez : «30 ans de scène, jamais intermittent !».
L’underground serait lié à la précarité et produirait le mouvement contestataire des minorités face à la classe dominante. Mouvement nécessaire qui vise à contrer les privilèges, décentraliser le pouvoir, répartir les richesses.

Je pense à M.I.A, artiste britannique d’origine Tamoule du Sri Lanka, reconnue pour ses revendications politiques notamment sur des thèmes comme l’émigration ou le terrorisme.
Popstar rappeuse politique qui finalement fait une campagne publicitaire pour H&M.
Le personnage s’écroule.
Dans ce jeu, le grand public peut consommer et s’enrichir mais l’artiste doit rester intègre.
Devenant « largement reconnu », il doit faire preuve d’une droiture exemplaire.
J’apprécie un artiste pour sa posture ou pour sa proposition artistique ?
La force du créateur n’est elle pas de défendre un propos artistique et d’en assumer la cohérence globale ?

Et nous, on accepte de jouer pour le comité d’entreprise de Airbus ? On prend l’argent de la vente d’armes ? On joue pour la commune Front National de Béziers ?

Pur ou impur ?
On pourrait redevenir des parfaits, arrêter la viande et cesser de consommer du low-cost.
Le tout serait d’être raisonnables tout en restant ambitieux.

Pour ce qui est de rester underground, pas de panique.
Tant que la Fondation pour la Recherche Contre le Jacobinisme (F.R.C.J) n’existe pas, on est tranquille pour un moment.

Lila Fraysse

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