Billet d’humeur #19 | 06/12/2018 par Ricet Gallet

C’est l’histoire d’un type qui, en 1969, à la fin du ministère Malraux, tombe dans une grotte (comme celle du nouveau projet Tuta d’Artús) et qui, parce qu’il y fait très froid, est immédiatement congelé. En 2018, à la faveur du réchauffement climatique, notre homme se décongèle et se réveille. Dès sa sortie, il découvre les concerts d’Artús, les recherches de Mateù, le nouveau disque à venir de Cocanha et tout le travail d’Hart Brut depuis quelques années. Devant leurs projets, notre homme s’exclame [prononcez les paroles qui suivent avec une intonation du type « eeennnntttrrreee iciiii Jeannn Moulinnn… »] : « mais c’est formidable ce travail, cette valorisation d’œuvres capitales de l’Humanité » ou « je me réjouis de ce que Hart Brut permette l’accès à la culture aux publics empêchés, c’est trop bath [on disait « bath » en 1969…] » ou même « ces filles de Cocanha, elles défendent vraiment l’excellence artistique… » ou enfin « et Hart Brut, ils sont très forts dans la médiation culturelle ». Eh bien non, camarade Findus, Hart Brut ne fait pas cela. Je dirais même que tu n’as rien compris…

Hart Brut a décidé d’intégrer pleinement, volontairement, les droits culturels que la loi NOTre (2015) puis la loi LCAP (2016) ont installés dans le cadre juridique français. Hart Brut revendique en effet, en s’appuyant sur la Convention de Faro (Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société), le fait que tous les patrimoines culturels constituent dans leur ensemble une source partagée de mémoire, de compréhension, d’identité, de cohésion et de créativité parce que ce patrimoine culturel trouve ses origines dans les droits culturels qui sont partie intégrante des droits de l’homme et, au même titre que les autres droits, sont universels, indissociables et interdépendants. Plus encore, le collectif rappelle que la promotion et le respect pleins et entiers des droits culturels sont indispensables à la préservation de la dignité humaine et à une interaction sociale positive entre les personnes et les communautés dans un monde divers et multiculturel. En défendant la Convention de Fribourg sur les droits culturels, ils ont la conviction que la diversité culturelle ne peut être protégée sans une mise en œuvre effective des droits culturels, considérant qu’une meilleure compréhension de leur nature et des conséquences de leurs violations sont le meilleur moyen d’empêcher qu’ils soient utilisés en faveur d’un relativisme culturel, qu’ils soient prétextes à dresser des communautés, ou des peuples, les uns contre les autres.

Et quand tu poses tout cela, camarade Captain Igloo, tu ne peux plus parler de « publics empêchés », mais de personnes, libres et porteuses de cultures, aptes à entrer en relation avec l’autre et les autres, pour faire humanité ensemble. Tu ne peux plus nous faire le coup de « l’excellence artistique » ou de la « démocratisation culturelle », regarde plutôt les moyens développés par les amis d’Hart Brut pour permettre à chaque personne, qui dispose de sa culture propre, de participer selon des procédures démocratiques au développement culturel des communautés dont elle est membre ; à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des décisions qui la concernent et qui ont un impact sur l’exercice de ses droits culturels ; au développement de la coopération culturelle à ses différents niveaux. Regarde comment tous les projets, toutes les actions décrites dans cette lettre d’info reposent sur une réelle exigence de qualité des relations entre les cultures des personnes.

Ami lecteur, toi qui arrives à la fin de ce texte, tu n’es pas obligé de croire à l’existence de mon Hibernatus culturel, mais tu as certainement croisé, tu croises même peut-être sans cesse, un acteur culturel (jamais congelé pourtant !) qui tient ce type de discours… Dis-toi que tu n’es pas obligé de le laisser parler, qu’un cadre existe pour parler et agir autrement dans le champ culturel.

Ricet Gallet . Chargé de la direction stratégique et politique
du Centre Régional des Musiques Traditionnelles en Limousin.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *