Billet d’humeur #20 | 10/01/2019 par Romain Baudoin

« Les bons artistes copient, les grands volent » Picasso

En cette fin d’année 2018, un copain chanteur de Bretagne, Gurvan Molac de « Beat Bouet Trio », me demandait : « … j’aimerais bien disposer d’un petit dossier, genre brochure de propagande efficace pour expliquer au monde de la musique pourquoi les artistes indé doivent sortir de la SACEM. Je sais que vous partagez notre point de vue. Avez-vous travaillé sur un document comme ça ? ».
Cette question nous a été souvent posée, car beaucoup savent qu’avec Artús nous utilisons les licences libres « Creative Commons » depuis plus de 10 ans… à l’époque ce n’était pas si commun. Aujourd’hui, certainement à cause des multiples scandales liés à la propriété intellectuelle, de nombreux artistes se posent des questions sur les droits d’auteurs et notamment sur la SACEM.
Voici ma réponse : « Adiu Gurvan, bona annada plan granada ! Oui, on est évidemment sur les mêmes positions que vous, on utilise depuis plus de 10 ans les licences « Creative commons » (il y en a d’autres). J’ai fait au moins 2 débats avec les mecs de la SACEM, mais nous n’avons jamais rien écrit là-dessus, c’est resté oral…
Quelques arguments en vrac tout de même :

 – la propriété privé et notamment intellectuelle est une notion complexe et très discutable, surtout dans les pratiques orales comme les nôtres, ça me parait plus sain et plus simple de les gérer moi même quand je décide de mettre mon nom en bas d’une composition originale… la SACEM gère pour toi et sans concession cette matière virtuelle et ils sont « tyranniques ».
– la SACEM protège les œuvres uniques et originales de l’esprit, pourtant quand je leur demande de définir ce qu’est une œuvre unique et originale de l’esprit ils en sont incapables, ce qui est problématique.
– la répartition de la SACEM est inégale et creuse l’inégalité entre les petits et les gros compositeurs/producteurs, car la répartition des droits ne se fait pas en fonction du talent, de l’expérience, de l’engagement… elle se fait juste en fonction de l’investissement financier, de la distribution, du marché, de la pub… c’est le distributeur qui fait le succès, pas l’auteur/compositeur. Cela crée des oligopoles de distribution qui se gavent (Sony / Universal / Warner…). Il faudrait pouvoir rémunérer la qualité et non la quantité, mais comment faire ?
– le système fait que l’argent va très peu à la création originale (une des missions de la SACEM), mais va aux artistes les plus diffusés, donc à la culture de masse, donc pas à   nous !!! La SACEM verse des miettes aux « musiques difficiles » comparé aux sommes colossales versées aux majors ! En plus, pour accéder à ces aides aux artistes, il faut adhérer… hé hé ! Une structure de production par contre peut être aidée sur des projets hors SACEM (en théorie).
– la SACEM n’empêche pas de copier ou de reproduire, elle taxe juste ceux/celles qui veulent le faire. Plus il y a de copieurs plus elle fait de gain, c’est donc très défavorable à l’originalité d’une œuvre :)))
– cela pose la question aussi de l’accès à la culture, car certaines populations (en France et ailleurs) ne peuvent pas payer les droits pour diffuser ou utiliser des œuvres. En licence libre tu pourrais décider de filer tes morceaux si les gens ne peuvent pas se les payer.
– c’est un frein à l’oralité, surtout si tout est déposé et que les auteurs/compositeurs ne gèrent pas eux même leurs droits.
– ça favorise le passage d’objets sonores du champ public (libre) vers le domaine privé en déposant systématiquement tout, tout le temps. La SACEM t’oblige en tant que sociétaire à déposer l’intégralité de tes compositions…

Nous sommes à l’abri du succès commercial, nous n’intéressons pas la SACEM et elle ne devraient pas nous intéresser car nous n’avons pas de logique marchande.

potons mec »

Depuis, 10 ans nous mettons sur nos contrats : L’Artiste est sorti du cadre de la Société privée des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique (SACEM) afin de gérer plus librement ses droits et de trouver une alternative plus adaptée à sa pratique. Sa musique est cependant protégée et gérée grâce à des licences Creative Commons, organisation à but non lucratif dont le but est d’étendre le champ de travaux créatifs pour les autres et de construire dans la légalité et le partage. Ainsi l’Organisateur n’aura aucun droit SACEM à payer sur la prestation de l’Artiste. Si l’Organisateur souhaite rétribuer les artistes du groupe au titre de leurs droits d’auteur et d’interprète, il peut sur facture verser la somme de son choix au Producteur. Pour information la SACEM taxe au minium à hauteur de 8,8% hors taxe le coût du budget artistique, des frais techniques et de publicité.

Romain Baudoin

Pour pousser la réflexion :
Une vidéo d’Albert Jacquard : « La propriété intellectuelle ».
L’histoire du « Amen Break » par Nate Harrison.

Les licences libres Creative Commons : http://creativecommons.fr

Et pour terminer sur le plagiat, l’emprunt et les limites du « sampling », faites vous un avis sur :
Pharrell Williams et Robin Thicke
Pharrel Williams (tout seul)
Ed Sheeran
Kanye West
Kanye West (encore)
Daft Punk

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Un Commentaire

  1. Bonjour,
    Je suis compositeur et membre de la SACEM depuis 2002 et je publie certaines de mes oeuvres sous licence Creative Commons CC-BY-NC (seules les licences incluant la mention NC sont acceptées par la SACEM). Or en lisant les textes je m’aperçois qu’il m’est impossible d’autoriser l’utilisation de mes oeuvres à des associations (même à but non lucratif) car celles-ci générant des recettes, elles sont automatiquement soumises à une redevance pour toute utilisation d’oeuvres « protégées » (Cf dernier avis de justice de décembre 2019 concernant Jamendo et Saint-Maclou). Ce qui veut dire que quelle que soit la licence sous laquelle tu publies ta musique, que tu sois adhérent SACEM ou non, à partir du moment où tu diffuse en public et que tu as des recettes, tu dois payer la SACEM (ce qui proprement scandaleux).
    Savez-vous s’il existe une solution légale pour un artiste de travailler gratuitement pour des organisations à but non-lucratif en tant qu’auteur-compositeur ?
    Merci de votre éclairage sur cette question épineuse, en particulier au regard des récentes décisions de justice en la matière.
    Bien cordialement,
    NAPZ

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