Billet d’humeur #10 | 16/11/2017 par Romain Baudoin

LE SOUFFLE DU SAUVAGE

En 1859, le journaliste Henry Ribadieu écrivait sur les landais : « […] ces derniers sauvages sont destinés à disparaître sans retour. La civilisation, en effet, les chasse devant elle, comme fait aux États-Unis la civilisation américaine […]»

Depuis la révolution française et son jacobinisme centralisateur, nous avons assisté au lessivage progressif des identités locales, pratiques populaires subtiles et variées qui enrichissaient notre patrimoine commun.
Pourquoi ? Pour inventer une histoire commune, faire société autour de la notion de progrès, d’intérêt général et transformer la province sauvage en terre civilisée française.
Une république une et indivisible s’opposant à la diversité des us et coutumes.
Internet a parachevé le tableau en offrant un accès illimité à la connaissance, créant une communauté de « citoyen du monde » connectés virtuellement mais déconnectés réellement.
La liberté a muté en libéralisme, l’égalité en uniformisme et la fraternité en individualisme.
Une culture de masse pour tous, contrôlée et divertissante, des modes éphémères, renouvelables et rentables.
Ce phénomène de déculturation donne des envies d’exotisme aux plus curieux.
Ils vont chercher du vivant, du cosmopolite, de l’étrange … notamment dans les anciens pays coloniaux qui regorgent de pratiques populaires collectives, alors que chez eux, pays colonisateur, cette culture du peuple semble mourante.
Ils observent l’étranger comme un élément singulier qu’ils envient pour son enracinement, « le bon sauvage, libre et indomptable», allant parfois jusqu’à singer tout ou partie de sa culture qu’ils ne peuvent maîtriser.
Ils évitent ainsi une implication plus personnelle, une interrogation sur leur identité, sur leur patrimoine, sur leur capacité à faire ou plutôt à refaire communauté « ici et maintenant ».

Dans les années 70 c’est bien cette prise de conscience qui a créé le mouvement revivaliste.
De jeunes musiciens/danseurs post 68 qui ont arpenté les régions pour collecter des savoirs populaires et surtout pour se les réapproprier.
Ils ont malgré eux mis en place un environnement original et restreint favorable à une pratique populaire actuelle s’appuyant sur des traces d’une culture antérieure.

« Nous sommes des musiciens de tradition revivaliste ! »

Nous ne prétendons pas faire société, nous n’avons pas les moyens de toucher la masse et nos pratiques sont certes « à l’abri du succès commercial » (J.Mespoulède), mais pour autant nous nous inscrivons dans une histoire, nous remplissons des fonctions sociales (fêtes calendaires, danses, cérémonies, …), nous valorisons, transmettons, nous créons, nous improvisons, nous diffusons… nous vivons avec un savoir oral populaire vivant et en mouvement !

Il faut tenir compte de l’intégralité de nos pratiques pour éviter les clichés, les idées préconçues et les stéréotypes grossiers que l’on entend souvent, parfois même par des gens bienveillants peu ou mal renseignés sur notre réalité et notre filiation.

Romain Baudoin

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