« Nous ne devons pas avoir peur de nous confronter. Du chaos naissent les étoiles »
Charles Chaplin.
Eh ouais, ça devait bien nous arriver un d’ces jours, ça nous pendait au nez : on est devenus des rock stars ! On part en tournée, on charge et décharge nos trois tonnes de matos quotidiennement après des heures entassés, passées à conduire un camion d’loc lorsqu’on peut se permettre d’en louer un. On s’arrête sur les aires d’autoroute pour manger des chips et des sardines en boîtes. Ou encore prendre un café trop cher et pas bon mais qui nous désengourdit le corps et l’esprit, pas encore réveillés du concert d’la veille, pas encore réveillés d’la courte nuit à dormir pelotonnés dans nos sacs de couchage. On se prend la tête pour des conneries pasqu’on laisse parler la fatigue et qu’elle dit des mots qui piquent et qui blessent, la fatigue, et puis après on fait des efforts pasqu’après tout on se l’a choisi, on est ensemble, et puis on s’aime très fort. On joue devant des gens qui nous découvrent sans cesse et qui oublient jusqu’à notre existence. De vrais poissons rouges des fois, les gens ! Ou pas d’ailleurs… On joue aussi devant des gens qui crient et bougent de tous leurs corps pour exprimer ce qu’ils ressentent pris dans notre flux musical, sourire figé sur leurs bouilles et dans nos mémoires. On gagne rien, un, deux, trois cachets d’intermittents peut-être sur une vingtaine de concerts et on s’rembourse des fois à peine le trajet. On est loin de nos familles et de nos amis, ils nous manquent souvent très fort. On est des rocks stars, on joue devant des dizaines de personnes… de milliers ? Non, non, juste quelques dizaines.
Pourquoi on fait ça, hein, si c’est pas pour se gaver ? Pasqu’on est des artisans qui aiment leur métier et qui font tout à la main, tiens ! Sauf que les choses qu’on crée, elles sont pas palpables, elles se vivent à l’instant T et elles s’évaporent, elles se ressentent dans la continuité d’un moment éphémère, entrent en résonances avec les émotions des gens qui sont présents pour les accueillir, nous y compris, et puis pouf… plus rien ! Si ce n’est l’émotion qui ne demandait qu’à éclore. Ou pas d’ailleurs : des fois, ça marche pas.
On ne doit pas notre survie à notre talent, nous autres dans Artús, on ne doit notre survie qu’à notre organisation, notre détermination et notre solidarité. Pasque t’sais, des trucs incroyables, hein, il en existe pleins, tellement incroyables que j’en ai chialé de voir que des mecs plus inventifs que ce que je serai jamais peuvent même pas vivre de ce qu’ils m’ont donné. De toutes façons, c’est le lot de tous les groupes de musiques actuelles dans notre beau pays la France, alors…
Alors, quand j’pense à tout ça, que j’ai envie de tout envoyer bouler, quand j’pense à tous ces gens qui comme nous se confrontent à un chaos de plus en plus obscur chaque jour mais continuent à mener avec intégrité leur barque et construire des systèmes parallèles avec trois bricoles et beaucoup de volonté, je me pose trois secondes, j’respire un grand coup et je lève le nez. Alors, je me prends à rêver que c’est pas des étoiles que je contemple mais bien tous les petits et grands chaos que l’homme a su transcender accrochés au Grand Silencieux en mode je t’en mets pleins les mirettes.
Mais attention ! Loin de la lumière des villes et de la fureur lumineuse des néons de nos sociétés, hein ! Pasque là, le ciel, il est tell’ment vide qu’on a l’impression de plus tell’ment avoir de choix : une p’tite dizaine de grosses étoiles bouffies qui rivalisent encore avec l’éclairage urbain, ça me fout le cafard ! C’est pas donné à tout le monde de briller dans les villes, pffffff… mais c’est réservé qu’à certains. Pasque quand je m’éloignes du brouhaha lumineux, de cette cécité du trop de lumière dans la face, je finis par embrasser la Voie Lactée, là où le ciel est piqueté de tellement de p’tites tâches lumineuses que t’arrives même pas à les compter. Et je me dis que je suis passé à côté alors que c’était sous mes yeux. Et je me dis même un peu honteux qu’il y en a une toute petite, toute minuscule qu’on a peut-être contribué à créer. J’la vois pas, hein, mais chuis content, je sais que quoi qu’il arrive, ça n’aura pas été en vain.
J’ai plus envie d’être une rock star… juste un faiseur d’étoiles.
Matèu Baudoin.
Joli texte, poussée lyrique en fin, joli. Mat, viens à Oloron avec l’assos’ qui s’occupe très bien des migrants, si t’as mal au cœur, là, le Béarn vole haut!
Est-ce que par ici, ce commentaire, Art Brut pourrait m’inscrire à sa nouvelle letter, car par la voie officielle, ça n’a pas marché!
Bisous à tous, Sabs!