J’ai écouté dimanche dernier l’émission Soft Power sur France Culture, au titre pour le moins interpellant : « L’intelligence artificielle remplacera-t-elle les artistes ? – Les nouveaux modèles économiques de la musique. » (à écouter ici).
Bon, à la lumière de ce que j’y ai entendu, en tous cas, l’intelligence artificielle ne risque pas de remplacer les acteurs intermédiaires de l’industrie musicale, toujours plus nombreux, étant donné que c’est le « Creator Technology Research Lab » du site Spotify qui a mis au point un algorithme capable de s’inspirer du style musical d’un artiste pour créer, tout seul ou presque, des morceaux « mainstream ». Et ça marche remarquablement bien ! Prouesses du machine learning, magie du deep learning ! (Et je le pense vraiment, il y a là quelque chose de passionnant, au delà de ce genre d’application).
Le directeur du projet clame que c’est un nouvel outil de création mis à la disposition des artistes, pour faciliter le processus, etc. Ok… on note, merci ; nous les artistes, à priori, nous manquions d’idées, et fallait au moins ça pour rafraîchir le secteur de la musique de masse et continuer à créer du bon son qui fait vibrer les foules. Et… au delà de cette remarque narquoise, pourquoi pas ! Ajoutons cette méthode dans le panorama !!!
À moins que ce soit l’industrie musicale « mainstream » qui ait besoin de se renouveler ? Qui manque d’idées de musiques à produire ? Ce serait alors un moyen supplémentaire pour coller aux évolutions fulgurantes du secteur et toujours mieux en profiter ? Et ainsi faire passer ses contorsions hégémonistes pour une danse du ventre langoureuse ? À grands renforts de technologies habiles, de com pour les promouvoir, pour toujours se rendre indispensable, incontournable, asseoir sa réalité… Avec comme objectif, in fine, d’épauler les artistes en place et les émergents ? À les écouter durant l’émission, ils sont nos humbles serviteurs. Cool. Mais si on écoute mieux, certains disent être au service de la musique. Gloups… Ah… ça c’est pas pareil… À croire que c’est pas L’IA qui va remplacer les artistes, mais bien les intermédiaires du secteur des musiques de masse ! Oh mince !… Bah… en fait c’est déjà plus ou moins le cas si on y regarde bien, car même si d’autres modèles économiques s’organisent et jouent des coudes pour exister – eux et les artistes qu’ils défendent -, la lutte est disproportionnée. L’industrie musicale crée le moule et les portes par lesquels l’artiste accède au « grand public », et elle a les moyens financiers pour affirmer, telle une certaine Margaret, « there’s no alternative ». La messe est dite, musicien aventurier reste chez toi et ouvre un Bandcamp, c’est toujours mieux que rien, et peut être seras-tu repéré par un gros producteur via le Big Data, si tu excites assez les réseaux sociaux, yo.
Mais bon, à vouloir toujours optimiser à outrance les gains en recherchant perpétuellement le risque zéro, tout ceci se mord gravement la queue à mon avis. C’est savoureux de constater que les nouveautés proposées sont au service d’un environnement musical identifiable et rassurant pour une majorité de consommateurs et de producteurs, sans prise de risque, ou à minima, collant toujours parfaitement aux tendances grâce au Big Data. Tout ce qu’est la vie quoi… C’est paradoxal quand on y pense quand même : créer régulièrement de nouvelles astuces pour stabiliser le secteur « mainstream » dans un semblant de permanence. C’est bien que l’entropie est à l’œuvre en trame de fond, même ici (et ça, perso, ça me rassure).
Là où je me dis qu’on a notre rôle à jouer, artistes « hors piste », c’est d’aider à montrer que la vie, ce n’est pas qu’une boucle rassurante infinie, et de populariser l’idée d’un effort de curiosité minimal et gratifiant menant à de l’enrichissement via de l’inconnu, de l’autre, de l’étrange, du déroutant, de la diversité. Mais la notion d’effort n’est pas hyper sexy de nos jours. Comment lui redonner de l’attrait à une majorité d’auditeurs ? Rien que de prononcer le mot effort c’est déjà trop… Chaud cacao, comme dirait l’autre. Mais c’est à creuser.
Thomas Baudoin