“Il est dit qu’aucun arbre ne peut pousser jusqu’au paradis sans plonger ses racines jusqu’aux profondeurs de l’enfer.”
– C.G. Jung
Doute, questionnement, quête de sens… la création collective n’est pas une balade de santé sous un ciel radieux.
Ça bataille, ça tâtonne, ça se prend le chou, ça avance pas… ça cherche, ça cherche, ça cherche sans jamais avoir l’impression de trouver. Trouver quoi de toutes façons !? C’est profondément humain la création ! Ça vous retourne le bide, ça vous prend aux tripes et ça vous lâche pas. Face-à-face, corps-à-corps, prise de bec, -de tête-, -à-tête, -à-queue… le plus souvent. C’est vivant et c’est en mouvement. Et c’est précisément ce qui rend l’acte de création magnifique.
Ça vit. Ça bouge. Ça essaie. Ça rate. Ça essaie encore et ça rate mieux. Jusqu’à trouver l’infime, le ténu, l’improbable petit truc qui colle dans un magma de propositions, d’idées et parfois – souvent – d’absence d’idées. La création, c’est du temps et de l’énergie passés à faire émerger un truc qui n’existe pas encore, à croire que ça peut émerger si on y passe ce temps et cette énergie. C’est un pari qui n’est pas gagné. Vraiment pas. C’est de la foi, pure et dure.
Alors, ouais, non, c’est pas une balade de santé, la création à plusieurs. Ça ressemble plutôt au chemin tortueux que tu fais un froid matin de novembre, quand la brume humide t’enveloppe, que t’y vois que dalle, que t’as pas pris ton topo, que tu t’es pas assez préparé. T’as froid, tu sais pas où tu vas mais tu y vas ensemble. Tu doutes mais tu te sais entouré. C’est important ce ensemble. Et tu avances quand même parce que tu sens qu’il y a quelque chose qui est tapi là, qui te dépasse, qui est plus grand que toi, qui vaut la peine de laisser émerger. Et qu’éventuellement ce que tu pressens là, avec un aplomb et une patience infinis, tu finiras par le ressentir dans ton corps d’abord puis dans le corps collectif, le ensemble, avec qui tu entreprends l’aventure. Ce ensemble qui amplifie tout, les bonnes et les mauvaises choses.
À l’heure où j’écris ces lignes, je suis en studio avec les Artús. Entre deux prises, je remise l’édito que vous lisez. J’y remise de l’humain, de l’organique, du vécu. De l’instantané à l’instant T. De l’instant tanné aussi… c’est pas facile. Ça te met en face de toi, le studio, crûment, en mode Dorian Gray face à son portrait.
On enregistre notre sixième album, « Cerc », premier mouvement d’une œuvre en deux parties. « Cerc », ça veut dire cercle et ça a la même racine que « chercher ». Ça parle caverne, mondes souterrains, introspection, rite initiatique. Ça évoque Platon, ça questionne la réalité. Ça cause spiritualité pas comme d’un horizon lointain, inaccessible, hein, mais comme le sol sur lequel on marche, comme dirait Alain Damasio. Le sol sur lequel on écoute chacun de nos pas se poser. Chacun des pas de ceux qui nous accompagnent. Le sol bien réel, le ensemble, face à l’horizon plein d’illusions. Temps. Énergie. Foi.
Cette dernière création vous propose un chemin, celui qu’on a entrepris pour le faire, plein des méandres de notre humanité, rempli des cavernes dont nous-mêmes ne connaissions pas l’existence avant qu’elles n’émergent. On en aura fait un long chemin ça, c’est sûr, et on s’y est perdus quelques fois pour le mettre en mots, en notes, en chair, en os. Mais c’est le jeu et on en accepte les règles comme tous ceux qui prennent ce chemin. Et du coup, à la manière des alchimistes en leur temps, on essaie, on rate, on essaie encore et on rate mieux pour éventuellement, peut être, un jour, métamorphoser l’aplomb en art.
Matèu Baudoin