Peu avant Noël dernier, deux choses ont attiré mon attention sur Internet : divers articles annoncent que cinq militants sont arrêtés dans une opération qui visait à porter « un coup dur contre ETA », et un reportage sortie des archives de l’INA, datant de 1986 (France 3) sur le centre Lapios qui faisait du collectage dans les Landes. Point commun ? C’est que ça parle de vers « chez moi » à un échelon national, et que je ne peux pas m’empêcher de voir les difficultés de tels médias pour parler de la « province ».
Dans le reportage sur le centre Lapios, malgré 9 minutes de sujet plutôt bien traité, on n’échappe pas à la séquence des instruments traditionnels joués au coin d’un feu de cheminée réconfortant. Séquence que d’autres journalistes, environ vingt ans plus tard, voudront aussi mettre en scène lors d’un reportage (lui, calamiteux) sur familha Artús pour le 13h de TF1. Scène tellement convenue dans un sujet qui traite du « terroir », qui flatte nos préjugés de ces cultures et langues foutrement disparates qui composent la France. Ainsi, nous avons au moins le feu de cheminée en commun me direz-vous.
A mon goût, la plupart des médias ne s’encombrent pas des détails pour aborder cette « province » mal connue, souvent traitée du point de vu de « l’étrangeté », la « sympathique originalité savoureuse », car ils n’imaginent pas pouvoir l’aborder du point de vu de « l’étranger », ça ne se fait pas… A la Révolution française, d’un coup de baguette magique, ce qu’ailleurs on aurait nommé ethnies, disparaissent par décret. Une Nation, un Peuple, certains vont même aujourd’hui jusqu’à donner une identité à cette France hexagonale : plutôt blanche, chrétienne, d’origine gauloise à moustache… vous connaissez la chanson. Nous voilà tous « égaux », chouette.
Mais avec ça, je me dis qu’inconsciemment la plupart des français s’expliquent nos disparités entre « gaulois » par des déviances héritées de milieux campagnards isolés un peu bébêtes, oubliés par l’Histoire, mais qui ont eu la gentillesse de disparaître au profit du progrès… Exit donc la possibilité de sentir les autres habitants du territoire comme « des étrangers » avec des origines / histoires / préoccupations locales qui leur sont propres et qui peuvent être complexes, susceptibles comme n’importe quel coin de France à avoir du fond et du sérieux à montrer, bien au-delà de l’image Folklorique. Du coup, on ne se connaît pas vraiment entre français, mais on fait comme si. Mais est-ce si grave de ne pas connaître « l’autre » qu’il faille faire semblant en l’habillant de nos préjugés ? Ce ne serait pas plus simple de reconnaître qu’on ne sait rien d’autrui, qu’il y a tout à apprendre de lui, et qu’il y a là quelque chose de bon à faire un pas vers cet inconnu ? Mettre notre diversité en commun ? Et que cette attitude profiterait peut-être à mieux assimiler ces français qui n’ont pas de « casque gaulois » sur la tête… ?
Une anecdote lue dans un journal local ; Quelqu’un dans un office de tourisme au pays basque l’été dernier, demande : « Bonjour, pouvez-vous me dire à quelle heure ouvre le village d’Espelette ? »… C’est tellement gros, ça fait rigoler. Mais quelque part c’est juste : la diversité culturelle française est souvent réduite à de l’animation, à laquelle on décerne des labels AOC… Super Parquet aux Transmusicales de Rennes : « Le plus auvergnat » titre Télérama. Génial… Télérama attire notre attention sur un putain de bon groupe qui vient d’Auvergne, mais est-ce qu’on apprend grand chose quand on choisit de titrer de cette façon ? à part d’y voir une façon de noyer le poisson ?
D’un autre côté, du bout de notre « lorgnette béarnaise », cinq « militants basques » vont passer du temps dans les méandres judiciaires soumis aux règles de l’antiterrorisme. C’est pas joyeux… L’un d’entre eux est un des intervenants du documentaire « l’intérêt général & moi » dont Artús a fait la B.O. Leur arrestation est couverte au niveau national, oui, mais, à part quelques médias, en effleurant le fond. Beaucoup d’entre nous, dans le 64, connaissons ces personnes : des pacifistes qui veulent faire avancer les choses en prenant des risques. Les choses sont bien plus complexes au niveau local. Et si on prenait ensemble le risque de s’ouvrir à cette complexité en avouant notre ignorance ?
Thomas Baudoin