CANICULA – « Cantas e danças de Gasconha ».
Ni folklorique, ni folk !
Disque Ventadorn / Menestrèrs Gascons – 1983
Il est écrit : « 1er trimestre 1983 ». J’avais six ans et pourtant je me rappelle de la sortie de ce disque, dans ma familha ce fut un réel événement ! Je le connaissais avant qu’il ne tourne sur la platine car beaucoup de répétitions se passaient en dessous de ma chambre à Capbreton (Landes), dans le salon de coiffure de mon père, à l’adresse indiquée pour contacter le groupe. Mon père était coiffeur/musicien pendant que mon oncle était professeur/musicien. Seul Joan Françès avait franchi le pas du professionnalisme. Je ne saurais dire l’importance de ce premier album, tant il me semble fondamental. La pratique, le militantisme culturel, l’ancrage, le collectif… tout y est déjà. Nous n’avons fait que poursuivre cette lancée.
Les membres de Canicula n’étaient pas encore des praticiens aguerris, leur jeu était en construction mais on sent déjà cette volonté d’appuyer les notes, d’enfoncer les temps. Les arrangements se veulent simples mais efficaces pour la danse. C’est un disque de musique à danser. Le premier chez nous, imposant dans le temps ce qui est communément appelé le « bal gascon ». Chaque morceau de cet album est devenu un standard des parquets et le choix avant tout fonctionnel de ce répertoire est pourtant très artistique. Même si la justesse et la mise en place sont parfois approximatives, quelle cohésion ! Ça sonne, ça groove, ça vit ! L’enregistrement multi pistes laissait peu le droit à l’erreur, les bandes sont chères et le temps dans le studio mythique du « Manoir » est précieux. Et puis, malgré l’appréhension du premier enregistrement, il fallait assurer ses parties devant l’ingénieur des « Perlinpinpin folc » Daniel Vissière.
« Les Perlins » c’est la référence, le modèle de toute une génération. Ils donnaient envie de faire, de s’identifier. C’est avec eux que l’aventure « Canicula » a commencé. Ils collectaient et par ce biais sont venus à Retjons, village de la forêt des Landes, berceau de la familha Baudoin. La maison familiale était devenue la base arrière du revivalisme gascon. Jacques, l’aîné des deux frères Baudouin, passait ses premiers week-end à écouter et à enregistrer des musiciens routiniers du village. Une partie du répertoire vient de ses recherches. Mon père Jean, obtint sa première boha (cornemuse gasconne) fabriquée par Kachtoun (musicien de Perlinpinpin folc) en contrepartie de buis sec qui servit à reconstituer les premiers pieds de cette cornemuse disparue. Il commença ainsi la musique traditionnelle et avec elle la lutherie de ces instruments qu’il fallait « sauver », puis améliorer pour essayer de jouer de moins en moins mal.
Dans ce vinyle, tout est d’abord écrit en occitan de Gasconha avant d’être en français. C’est Joan Françès qui était le plus avancé linguistiquement et qui a sensibilisé les autres à la langue, indissociable de la pratique instrumentale. Le choix de « Ventadorn » comme maison de disque est un signe fort de l’appartenance du groupe au mouvement occitaniste. Le texte de présentation en dit long sur le rapport du groupe avec son territoire, la Gasconha. Ils se considèrent bien avant l’heure comme des « Alterlocalistes » (terme inventé par Jacques). Ils veulent faire écouter, montrer et expliquer leur pratique. L’association, « Menestrèrs gascons », qu’ils fondent d’ailleurs à cette époque et qui co-produit cet album, n’est que le prolongement de cette démarche d’éducation populaire.
Ils ont un discours artistique de création ancré sur leur territoire, se démarquant ainsi du folklorisme et du mouvement folk.
Pourtant malgré cette volonté de montrer une culture vive, l’aquarelle de la pochette semble être une référence nostalgique à la lande d’Arnaudin, une sensation étrange, un paysage fantomatique.
Quand ils ont commencé il n’y avait rien ou plus grand-chose, quand nous avons suivi il y avait au moins ce qu’ils avaient « imaginé ». Ce disque porte en lui l’histoire passée et en devenir de nos pratiques, si nous sommes des musiciens de tradition revivaliste c’est en partie grâce à lui.
Slogan d’époque: « Les Canicules m’en bal ! » (habile contrepèterie)
_Romain Baudoin
Retrouvez des chroniques de disques de « l’incroyable richesse discographique de la jeune histoire du revivalisme de France » sur le site du Nouveau Pavillon à Bouguenais.
Ecoutez Canicules sur le label Pagans.
Visionnez des entretiens avec les membres du groupe.