En novembre 2018 j’avais commencé à écrire un billet d’humeur qui tentait d’expliciter pourquoi je me sentais étriquée dans ce que je choisissais de représenter sur scène à ce moment là. J’avais peur que le fait de devoir faire des dates pour être intermittente m’amène à me comporter sur scène d’une manière trop conventionnelle, la fameuse question de devoir « plaire au public ». Je me posais les questions suivantes : comment le devoir que l’on se donne d’être respectable affecte notre créativité ? Nous avons besoin de limites pour pouvoir donner forme à des projets, à des chansons, les contraintes sont des sources de création, mais cette contrainte là, de la respectabilité, ne doit-elle pas être dépassée pour que l’on puisse bouger sur scène ? Y danser ? Y explorer nos envies de chanter ? En fait tout simplement pour que l’on puisse chercher, expérimenter librement. C’est une évidence mais je découvrais à ce moment-là ces contradictions en moi-même, qui sont liées je crois en partie au système de l’intermittence tel qu’il est actuellement.
Puis j’avais vu le documentaire sur la danseuse de flamenco Rocío Molina, « Impulso », qui montre les expérimentations d’improvisation qu’elle réalise avec ses musiciens de flamenco. J’y ai vu le vertige de l’improvisation, aussi dans ce qu’on dévoile de soi et qui nous échappe… Et je m’étais dit que cette confiance qu’elle se donne en son intuition artistique, c’est comme un fil qu’elle tisse à travers énormément de répétitions et de travail, et ce qu’elle construit avec les musiciens en partant de ça est à la fois très singulier, d’une grande beauté et d’une grande liberté. Elle s’exprime à travers une culture traditionnelle extrêmement codifiée dont elle transgresse beaucoup d’attentes mais dans l’affrontement entre ce qu’elle a besoin d’exprimer, elle personnellement, et cette culture il y a tellement d’amour qu’à la fin l’objet que l’on perçoit a complètement fait exploser les frontières entre l’intime, le plus singulier, peut-être une certaine marginalité même et toute cette culture et cet art qu’est le flamenco.
Il y a un livre que j’aime beaucoup que je lis et relis depuis plusieurs années parce qu’il est très dense, c’est « La Communauté » qui vient de Giorgio Agamben. J’en parle ici par rapport à ce qu’on représente sur une scène, qui est une interface entre nos identités singulières, collectives et les gens, lo monde… Comment se déprendre de la peur d’être différent de mais aussi comment penser une identité collective qui serait sans appartenance propre ? Pour moi la langue occitane représente cette utopie là. Libérée de l’appartenance à un territoire national dont les frontières ne correspondent pas à la réalité de cette langue, à travers son histoire que je connais encore mal, je la vois comme un espace d’ouverture et de réinvention des notions de collectif et d’identité. En tous cas j’espère cela en musique, en images, en mots, en liens. Aital !
Maud Herrera