Octobre 2020
De retour de cette première résidence Bòsc.
Quelques retours sur ce qu’on a vécu, ce qui s’est passé, ce que vous avez permis d’impalpable en mettant en place des conditions concrètes de rencontre et de travail.
Le confort. Inestimable dans nos vies de mouvement et de débrouille, de bricoles, de déménagements, d’incertitudes, de chasse aux cachets, d’annulations covid. Dans nos histoires et nos batailles pour se sentir légitimes dans nos vies et nos musiques. Le confort d’avoir la confiance, d’avoir le temps, un lieu quasi à l’abri des préoccupations du quotidien qui dévient l’attention. Le confort presque excessif de ce gîte domotisé quadrillé d’écrans et de ce frigo auto rempli (merci Enora !). Les douches chaudes, le lave vaisselle, la machine à laver, les repas avec desserts.
Le confort fait se découvrir du temps là où il n’y en a pas toujours.
Pour nous, surtout, le temps de parler, le temps de la rencontre. Les immenses discussions qui prennent le temps de se déplier. On ouvre les caisses, les grands dossiers. On échaffaude les lignes communes d’être une équipe. On questionne nos féminismes, nos rapports à la création en musique, à ce qui a déjà été fait. Le territoire, les médias, les tourneurs. Les questions d’esthétique, d’efficacité ou de sobriété. Qu’est ce qui nous touche ? Ou ça ? Comment on évolue, est ce qu’on est moins sensibles, moins émues, plus exigentes, plus intransigeantes ? Est ce qu’on est à l’aise avec le regard des autres sur ce qu’on fait soi-même ? Comment on se construit des liens en se différenciant de ce que d’autres font ? On écoute, on regarde des images d’autres en lien avec nos musiques. On tabasse un peu à l’aveuglette. Parfois on s’en veut de tabasser trop. Parfois on se sent proches. Parfois on se marre.
À la Bigourie, la salle est pitchounette, mais tout a été nettoyé et fignolé fissa pour nous accueillir. C’est touchant, on se sent tout de suite bien. C’est le format pour une première résidence, on a besoin de ça, d’être proches les unes des autres. Trouver les chemins pour oser essayer, ne pas avoir d’angles morts. On est en quasi cercle, on se découvre, on s’assoit bien profond dans notre son et c’est bon. Alors il faut déjà sonoriser un peu, on bricole pas mal, on lèche les micros ventouses, on scotche, on entend encore beaucoup les cornemuses, Élisa rajoute de la reverb et du delay peste sur les SM 58 et finalement arrive à nous créer une symbiose des voix, c’est pas mal. C’est d’autant plus agréable de bricoler qu’on sait que le confort sonore arrivera bientôt, que la prochaine fois, ça sonnera très vite avec l’arrivée d’Annaëlle.
Pour l’heure on ouvre des pistes de travail. Nous qui avons tant parlé de nos intransigeances au gîte, on se retrouve à être assez contentes de notre son et assez fluides dans les propositions de travail. Il n’y a pas à lutter, on dirait qu’on a toutes l’idée claire de la direction. Le propos pas encore, ça va être une histoire, savoir ce qu’on veut dire et ce qu’on a à dire. Mais la ligne, la texture la couleur, les pistes, arrivent assez simplement.
Parfois la fatigue, il y a les couleurs de l’automne par la fenêtre. Il y a Marcello qui fait du jardin avec son papi et qui trimballe des courges en brouettes. C’est joli. C’est simple. Finalement, on fait seulement de la musique. On se libère doucement des peurs et des grandes questions de budget, d’attentes, d’illégitimité, de pressions. On nous permet d’être bien, et on accompagne Marcello avec des chansons. Alors ça va aller. On s’y fait.
On était pas toutes à l’aise avec l’idée de la caméra. Pourtant Sylvestre se ballade parmi nous, pose des lumières roses et bleues, sa présence est très douce, on en vient à l’oublier tout à fait. Il nous promène dans les feuilles mortes et les sous-bois magnifiques. Bòsc dans les bois, c’est presque un peu trop mais on l’a cherché, on a suivi la métamorphose des feuillages par la fenêtre de la salle toute la semaine. On se prend les couleurs plein les yeux, les champignons, les châtaignes. On rit et on sait pas quoi faire de nos mains quand Sylvestre nous fait poser, et on repart se fondre dans les bois.
Et puis il y a l’arrivée d’Élisa de Lost, qui vient nous saluer. On sait jamais trop à quel moment on peut venir vous voir et déranger elle dit. On l’accueille, et on continue à jouer. Et voilà, c’est la fin de la bulle, on la sent qui pète entre nos doigts. Ce regard-là dans la salle nous fait un peu battre le coeur, d’un coup notre piste de travail prend l’allure d’un morceau, on entend résonner le récit et le chant très fort. On est un peu tristes aussi je crois, que ce soit déjà terminé. On est un peu à poil. On accepte.
Déjà il y a les vies de dehors qui frappent aux portes, les enfants, les amoureux qui se préparent à débarquer, l’organisation de la suite.
Le voisin qui passe nous saluer :
« Vous avez pas eu peur toutes seules la nuit ?
– Mais… on était cinq !
– Ah mais vous étiez seules ! Si j’avais été plus jeune, je serais monté ! »
Lisa lui répond sans attendre qu’on l’aurait accueilli à grands coups de bâtons, ça le fait rire. On en a quand même un peu marre de cette histoire d’être un groupe de meufs. On voudrait qu’on arrête de nous le répéter sans cesse, qu’on nous voie avant tout comme un groupe, une équipe, un ensemble qui crée de la musique et, s’il le faut, de la réflexion.
Et puis sur le chemin du retour, on se dit qu’on a sacrément de la chance de monter ce projet toutes les cinq, qu’on se sent exactement à l’endroit de nos envies. Que ça va être beau.
_Bòsc
Lisa Langlois, Mathilde Spini, Noëllie Nioulou, Élisa Trébouville, Marthe Tourret.